L'Olympia
64, on pourrait penser que c'est le spectacle de la fin de
l'apprentissage, le show de la dispersion des copains, de
l'enterrement de l'enfance, et puis, plus rien, le grand
trou noir, seize mois de service militaire. Autant dire un
grand nulle part sombre qui vient obscurcir l'avenir, en
cette période où sans un nouveau succès tous les deux
mois, vous êtes catalogué has been. On sait dans quel
état d'esprit se trouve Johnny en ce printemps 1964. Pour
lui, cet Olympia sera l'achèvement d'un beau rêve :
l'arrachement à la rue, la vie d'idole, quatre ans
exceptionnels et, maintenant, les marches de l'oubli ? Les
journalistes, lui posent la même question. La question de
la carrière brisée, parce que c'est un bon sujet pour
vendre du papier et puis aussi parce que c'est le secret
espoir des croulants : voir disparaître cet oiseau de
mauvais augure.
Et
bien non ! L'Olympia 64 ce sera un show sans calcul, mais
pas sans mise en scène. Un retour à l'ère tribale du
rock'n'roll, le premier acte posé par un jeune chanteur à
qui on va interdire d'exercer son métier et qui, du coup,
décide de ne plus entendre raison et de laisser libre cours
à son instinct. Adieu "Tendres années", au
revoir bluettes couleur "Da dou ron ron". Le
nouveau Johnny tourne le dos aux compromissions du
hit-parade, risque le tout pour le tout et crache un blues
dissonant : "Excuse-moi partenaire". Quelque chose
que les petits teenagers auront du mal à décrypter : quel
est ce cri ? Qui est ce partenaire ? Est-ce le blues qu'on
assassine ?
En
janvier 1963, Johnny prend la décision de modifier le line
up de ses Golden Stars. Exit la section rythmique.
Johnny s'adjuge le renfort du batteur Bobbie Clarke,
le drummer aux deux fûts repéré chez Vince Taylor. En
novembre 1963, Johnny repère Greco dans une salle enfumée
de New York. En décembre, Greco est à pied d'oeuvre à
Paris. La saga Olympia 64
proprement dite est sur les rails. Joey et les Showmen est
un groupe en équilibre instable, fondé sur la rivalité,
la compétition, les coups de gueule, les bordées, la
fracture entre Français et Anglo-saxons. C'est un
authentique rock'n'roll band. Janvier 1964 est surtout
consacré à faire travailler tous ces garçons ensemble. Il
n'y a pas grand-chose de commun, en effet entre le sombre
Jean Tosan, l'énigmatique Di Pietro, l'imprévisible
Woodman-Clarke, l'impulsif Joey Greco... Joey et les Showmen
est un groupe infernal...
L'Olympia
64 attaque officiellement le jeudi 6 février. Après la
traditionnelle première partie, le rideau s'ouvre sur les
Showmen au grand complet. Derrière un voile transparent, se
tient le grand orchestre dirigé par Jacques Denjean. Lee
Hallyday fait irruption et introduit le show à la manière
de ces "aboyeurs rhythm'n'blues" du théâtre
Apollo de New York. "Accompagné par (...) Bruno
Coquatrix a le plaisir de vous "présenteyyy"...
JOHNNY... HALLYDAY"... Il est clair que ce show, qui se
promène de rock en blues et de jazz en gospel, ne peut pas
être compris par tout le monde. En un mot, il fait peur. Et
il fait refluer vers la sortie les vénérables invités du
premier rang, aussitôt remplacés par une bande de fans
surexcités qui marquent la mesure le poing levé au-dessus
de la tête, debout sur les sièges, pendant que le reste de
la foule se rue dans les travées en hurlant : "assis,
assis"... Une dame entraîne dans son sillage une jeune
fille, "Ce n'est pas un spectacle pour mon enfant. Je
suis prudente et avisée."... Apparition du commissaire
de police, venu prendre la température... Un garçon du
métier sort, outré. "II faut chauffer une salle, mais
pas au point de rendre les gens idiots."... Un boucher
de La Villette : "Ce n'est plus de la chanson, ce sont
des rugissements." Etc..., etc... Il est vrai que sur
scène, entre la sono poussée exceptionnellement fort pour
l'époque, les bonds de Johnny, les grands écarts de Joey
et le mitraillage de Bobbie, ça déménage vraiment...
Il
a interprété :
Présentation
Oh ! cette nuit
Les guitares jouent
Quand je l'ai vue devant moi
Pas cette Chanson
J'abandonne mes amours
Rien que huit jours
Je t'écris souvent
Tu n'as rien de tout ça
Je ne veux plus te blesser
C'est fini Miss Molly
Excuse moi partenaire
Memphis ( Joey et les Showmen)
Pour moi la vie va commencer
Ma guitare
Da dou ron ron
I got a woman
Shout
Présentation des musiciens
Shout (reprise)
Tutti Frutti
Ils l'ont accompagné :
Joey and the showmen avec :
Guitare solo : Joey Greco
Guitare rythmique : Claude-Robbins-Djaoui
Basse : Ralph Di Pietro
Batterie : Bobbie Clarke
Piano électrique et orgue : Marc Hemmler
Saxophones ténor et baryton : Jean Tosan
Trompette : Yvan Julien
Choristes
:
Les choeurs féminins de l'orchestre de l'Olympia
Les Lionceaux :
Alain Hattat
Michel Taymont
Gérard Fournier
Michel Mathieu
Avec le grand orchestre de Daniel Janin sous la direction de
Jacques Denjean.
Le
soir de la dernière : "Pendant ces six semaines
d'Olympia, vous avez été un public formidable. (...)
J'espère que mon service militaire ne sera pas trop long et
que je pourrai vite vous retrouver. Au revoir. Merci. Et à
bientôt." Puis il retrouve ses musiciens dans les
loges : "On y retourne". Sous une moisson
de projecteurs rouges et bleus, le revoilà. Il a repris le
costume "jean" avec lequel il est arrivé, en
début d'après-midi. C'est un dernier rock'n'roll qu'il
envoie...